« Comme ce type doit m’aimer puisqu’il m’a inventée ! » s’exclamait Catherine Deneuve, l’une des demoiselles de Rochefort, dans le film de Jacques Demy, en découvrant son portrait, peint par le jeune matelot Maxence sans que ce dernier ne l’ait même entr’aperçue. Pas un club de jazz au monde où vous ne puissiez écouter la célèbre Chanson de Maxence. Qui vous sera toutefois probablement présentée dans sa version anglo-saxonne, You must believe in spring, enregistrée notamment par Bill Evans. Mais qui donc a inventé cette ritournelle si joliment troussée ? Michel Legrand, bien sûr. Idem pour la Chanson des jumelles dont le nouvel arrangement, percutant, que le pianiste a cosigné avec Essaï, a nourri notre regard sur ce thème. Ils sont ainsi très nombreux, ces morceaux de patrimoine de la chanson française à avoir franchi nos frontières. Les feuilles mortes, par exemple, dont ni Kosma ni Prévert n’auraient imaginé que, de Venise à Java, elles allaient se retrouver sur toutes les lèvres, de tous les bœufs, de toutes les jam sessions de la planète jazz sous le titre Autumn Leaves. Ou encore Que reste-t-il de nos amours ? À cette question de Charles Trenet, les musiciens de jazz, partout, répondent I wish you love…
« Comme ce papa doit m’aimer », a dû aussi s’exclamer la petite Cécile en écoutant son Nougaro de père. La mélodie de cette jolie ballade, ici ponctuée par les balais de Jean-Pierre Jackson, notre batteur invité, est dans tous les cœurs. Au diapason de cette bossa-nova chaloupée par ses Pas à laquelle le chant d’Elsy Fleriag donne cette chaude couleur créole qui embarque notre musique vers sa Martinique et le Brésil de Claude. Et que dire de Rimes, écrite par Aldo Romano sur un singulier rythme à cinq temps qui ne doit rien à Paul Desmond ou à Dave Brubeck et auquel nos oreilles occidentales sont si peu habituées ?
C’est donc en clin d’œil taquin que nous avons voulu un titre en langue anglaise pour cet album très frenchy de l’Alzy Trio. Clin d’œil au fameux Great American Songbook qui fait la part belle aux standards de Broadway, signés Ellington ou Gershwin, et joués par tous les jazz(wo)men. Car (ne vous déplaise ;-) le grand répertoire de la chanson française a, lui aussi, conquis l’âme des musiciens du monde entier.
Un été joue ici les trublions puisqu’il s’agit d’un thème (Estate) composé par le pianiste italien Bruno Martino et sur lequel Claude Nougaro, toujours lui, nous a conté une douce historiette d’enfants. Il espérait tant que « jazz et java copains, ça doit pouvoir se faire »… Nougaro et Gainsbourg n’ont hélas jamais enregistré ensemble mais nul doute que La javanaise de Serge aurait pu les réunir pour « donner à la java mes mains pour le bas de son dos ». Ce duo chanté avec notre autre invitée, Tamanga Bévis, ponctué par le chorus de guitare de Thierry sur les belles harmonies de Christian ? Un petit bonheur qui doit aussi au talent d’arrangeur de la chanteuse québécoise Térez Montcalm et du guitariste Yann Viet dont nous nous sommes un tantinet inspirés. Tu verras, enfin, mélodie écrite par le compositeur brésilien Chico Buarque (O que será), clôt cet opus avec une belle promesse d’ailleurs : « En t’inventant l’amour dans le coeur de mes bras, jusqu’au matin du monde ».
Mais ça, c’est une autre histoire…
Pascal Kober
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